Le système pénitentiaire haïtien se trouve dans un état de délabrement avancé, avec une surpopulation dramatique et une majorité écrasante de détenus privés de jugement. Selon les données communiquées par la Fondasyon Je Klere (FJKL), sur 7 178 prisonniers recensés, près de 80 % sont en détention préventive prolongée, soit 5 843 personnes privées de procès, parfois depuis des années.
La présidente de la FJKL, Marie Yolène Gilles, qui intervenait sur les ondes de Radio Caraïbes ce lundi 25 août 2025, a dénoncé une machine judiciaire « paralysée ». Faute d’audiences régulières, de juges disponibles ou de dossiers instruits, des milliers de détenus ignorent les raisons précises de leur incarcération ou la durée de leur détention. « La détention préventive prolongée est la plaie béante de notre justice », a-t-elle déclaré, soulignant que moins de 20 % des prisonniers ont été effectivement condamnés.
Si la Direction de l’administration pénitentiaire recense officiellement 24 prisons dans le pays, seulement 14 sont réellement fonctionnelles. Les autres ont été abandonnées, détruites ou rendues inaccessibles en raison de l’insécurité. La prison pour femmes de Cabaret, la Croix-des-Bouquets ou encore le Pénitencier national en sont des exemples frappants. Résultat : les centres encore actifs accueillent jusqu’à dix fois leur capacité initiale.
Le constat sanitaire est tout aussi alarmant. Le pays ne compte que trois médecins affectés aux prisons, tous basés dans l’Ouest. Dans certaines villes, comme Port-de-Paix, il n’existe aucun personnel médical, tandis qu’aux Gonaïves, une seule infirmière tente de répondre aux besoins de centaines de détenus. Les décès liés à la malnutrition et aux maladies se multiplient : 14 morts en un mois dans la prison de Jacmel, six autres à Petit-Goâve, selon des organisations locales de défense des droits humains.
La nourriture, déjà insuffisante, se fait de plus en plus rare. Avec une allocation de seulement 35 gourdes par jour et par détenu, l’État ne parvient pas à garantir un repas quotidien. Pire encore, les convois destinés aux prisons de province doivent souvent verser des rançons aux gangs pour passer.
Des cas individuels illustrent l’ampleur de la tragédie. Dans le commissariat de Delmas 33, l’Observatoire des droits humains (ORDEDH) a signalé en août la présence de 70 personnes dans une cellule de 35 m², contraintes de dormir accroupies. Des mineurs y sont détenus aux côtés d’adultes, en violation flagrante des conventions internationales. La FJKL a également rapporté la détention de figures connues comme Magalie Habitant, Profane Victor et Elionor Devallon, tous confrontés à des conditions sanitaires précaires.
Face à ce tableau chaotique, plusieurs organisations appellent l’État haïtien à agir de toute urgence : multiplication des audiences criminelles, amélioration des conditions de détention, renforcement du personnel médical et réhabilitation des infrastructures. À défaut, préviennent-elles, les prisons haïtiennes risquent de devenir non seulement des foyers de violations massives des droits humains, mais aussi des poudrières sécuritaires. « Les prisons ne sont plus des lieux de réinsertion, mais des espaces de mort lente », a résumé l’avocat Arnel Rémy, qui milite pour une réforme profonde du système.
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