Dans un pays à genoux, où les flammes avalent autant de vies que de symboles, l’incendie criminel de l’hôtel Oloffson apparaît comme un point de non-retour. Et pourtant, dans ce chaos désormais familier, ce n’est ni la première tragédie, ni sans doute la dernière. Mais celle-ci résonne autrement : c’est la mémoire d’un peuple qu’on a mise à feu, et c’est un gouvernement impuissant qui tente aujourd’hui de parler haut, après avoir si longtemps regardé ailleurs.
L’hôtel Oloffson, perle architecturale du style gingerbread et refuge mythique d’artistes, d’intellectuels, de journalistes, a été réduit en cendres. L’attaque s’est déroulée dans la nuit, sans qu’aucune unité des forces de l’ordre n’intervienne, dans une zone pourtant stratégique de Port-au-Prince. Le crime est signé : celui d’un pouvoir gangrené par l’inaction, l’improvisation et, osons le dire, la résignation.
Face à cet acte de trop, le gouvernement a publié un communiqué exprimant sa ferme indignation et annonçant une politique de « tolérance zéro » contre les groupes armés. Mais à qui s’adressent ces déclarations solennelles, sinon à une population qui les entend depuis trop longtemps sans en voir les effets ? La promesse de traquer, démanteler et déraciner les gangs résonne comme une rengaine : les faits montrent que ces groupes, mieux organisés que l’État lui-même, continuent d’imposer leur loi jusque dans les zones supposément sécurisées de la capitale. Combien de fois faudra-t-il brûler Haïti pour que ses dirigeants comprennent qu’aucun mot ne remplacera l’action ?
Détruire l’Oloffson, ce n’est pas seulement incendier un bâtiment. C’est attaquer l’idée même d’Haïti comme creuset culturel, comme lieu de résistance et d’expression libre. Ce lieu avait traversé les dictatures, les catastrophes naturelles, l’instabilité chronique. Il n’a pas survécu à l’abandon généralisé du territoire par ceux qui prétendent le diriger.
L’appel du gouvernement à « l’unité nationale » sonne faux dans un pays où les citoyennes et citoyens, livrés à eux-mêmes, improvisent chaque jour leur propre survie. L’unité ne se décrète pas : elle se construit par l’exemple, par le courage, par une gouvernance digne. Or, que voit-on ? Des institutions paralysées, des décisions politiques tardives, des élites silencieuses quand les flammes ne touchent que les plus vulnérables.
Le communiqué conclut par une formule destinée à galvaniser : « Vous avez allumé un feu qui réveillera la conscience d’un peuple debout. » Mais ce peuple, cela fait longtemps qu’il est réveillé. Ce qu’il attend, c’est que ses dirigeants se lèvent enfin avec lui. Qu’ils cessent les effets d’annonce pour affronter, réellement, les causes du chaos.
L’Oloffson en ruines est une blessure. Mais c’est aussi un signal. Si, cette fois encore, le gouvernement se contente de mots, alors c’est toute l’idée de nation qu’on aura laissée partir en fumée.
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