Ce 2 mars 2025, l’ancien président Jean Bertrand Aristide a pris la parole lors de la cérémonie de graduation des étudiants de l’Université de la Fondation Dr. Aristide (UNIFA), soulignant un point central de son discours : « Se pa pwomès sekirite nou bezwen, se sekirite ». Il a aussi rappelé que « mòd Leta sa paka sove pèp la san pèp la ». Ces déclarations sont non seulement significatives, mais elles pointent du doigt la profondeur des crises actuelles en Haïti et soulignent les défis persistants que le pays rencontre, même après plus de deux décennies de changement politique et institutionnel.
Si, d'une part, Aristide semble incarner la voix de la vérité et la réalité d’un peuple souffrant de l’insécurité galopante et du manque d'infrastructures de base, il est également nécessaire de prendre du recul et de se questionner sur les origines de cette situation. Aristide lui-même, bien qu’il soit un symbole de résistance pour beaucoup, a contribué à une période de gouvernance complexe, où des promesses de changement se sont souvent heurtées aux réalités de la gestion d’un pays ravagé par la pauvreté et les troubles politiques. Cette déclaration, bien que profondément ressentie par une population désabusée, soulève la question de la responsabilité collective dans l’échec du système actuel.
Premièrement, la remarque sur la sécurité doit être analysée dans le contexte de l’histoire politique d’Haïti. La sécurité est en effet un problème majeur, mais elle est aussi le fruit d’une longue période d’instabilité institutionnelle et politique qui date des mandats d’Aristide lui-même. Son époque à la tête du pays, marquée par des décisions controversées, a eu pour effet de fragiliser les institutions publiques et de permettre aux groupes armés et aux bandes criminelles d’émerger. Cette réalité n'est pas sans rappeler la façon dont les politiques de sécurité et de défense ont été négligées, ce qui a permis aux groupes criminels de s’impliquer dans des activités de plus en plus violentes. Aristide, en appelant à la sécurité, semble oublier que les bases nécessaires à sa réalisation – telles qu’une police nationale forte, une armée fonctionnelle et un système judiciaire indépendant – ont été affaiblies sous son propre régime.
Ensuite, son appel à l’unité entre le peuple et l’État reflète une vérité simple mais poignante : la gouvernance ne peut pas fonctionner sans la collaboration active et la participation du peuple. Cependant, cette déclaration néglige une autre dimension fondamentale : l’absence de leadership clair et responsable depuis des années a plongé Haïti dans un cercle vicieux de crises politiques, économiques et sociales. Aristide semble suggérer que la solution à la crise actuelle dépend uniquement de la volonté du peuple, sans véritablement reconnaître que l'État et ses dirigeants ont également une lourde part de responsabilité dans cette situation désastreuse.
En parlant des difficultés du pays à chaque graduation de son université, Aristide semble peut-être vouloir rappeler aux jeunes diplômés la situation de leur pays, leur défi en tant que citoyens et leaders de demain. Cependant, cette approche pourrait être perçue comme un moyen d'éviter la prise de responsabilité politique collective. Le fait que ces cérémonies de graduation soient devenues un lieu pour des déclarations politiques pourrait aussi être interprété comme une tentative de détourner l’attention des problèmes structurels du pays. Il serait plus constructif d’entendre des propositions concrètes sur la manière dont la société haïtienne pourrait collectivement surmonter ces défis, au lieu de seulement rappeler sans cesse les problèmes.
Finalement, la critique porte également sur la gestion d’UNIFA en tant qu’institution sous l’égide d’un ancien président. Si cette université joue un rôle clé dans la formation des jeunes générations, elle n’échappe pas aux réalités du système éducatif haïtien, qui souffre d’un manque de ressources et de financement. L’UNIFA, qui pourrait être une plateforme de développement intellectuel et social pour les jeunes, se trouve dans un environnement où l’éducation est souvent reléguée au second plan par rapport aux urgences politiques et sécuritaires. La question reste : comment UNIFA et les autres institutions éducatives peuvent-elles contribuer à la reconstruction de la nation dans un environnement aussi chaotique?
En somme, bien que le discours de Jean Bertrand Aristide à l’occasion de cette graduation porte des vérités qui résonnent avec la réalité des Haïtiens, il est important de se rappeler que la construction d'un avenir meilleur nécessite un engagement et une prise de responsabilité de la part de tous les acteurs politiques et sociaux, y compris ceux qui ont gouverné dans le passé. Le pays a besoin de solutions durables, et ce n’est pas seulement à travers des déclarations qu’il pourra sortir de la crise actuelle
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