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Santé

La levrette ou backchat est-elle vraiment une position sexuelle problématique?

Autant décrié par l'Église du Moyen Âge que par certains courants du féminisme contemporain, le «doggy style» doit-il être banni d'une sexualité hétéro qui se refuse à perpétuer la domination genrée? Il n'y a pas une sexualité, il y a des sexualités, un intime partagé par chacun·e de nous, chacun·e à sa manière. Retrouvez chaque semaine la newsletter Intimité·s, un rendez-vous pour tous les âges, tous les genres, toutes les orientations sexuelles.

Pour certaines personnes –par exemple, parce qu'elles ont un utérus rétroversé, qu'elles sont fragiles des genoux ou des poignets, ou encore parce qu'elles ont un vécu traumatique–, la position de la levrette est douloureuse et n'est jamais désirable ni désirée. Mais pour d'autres qui reconnaissent y prendre un certain plaisir, elle relève de la position coupable, voire de la compromission au patriarcat. Est-il possible de voir les choses autrement et de penser une levrette aussi féministe que jouissive? Pour mieux comprendre le poids des représentations qui pèse sur cette position et s'en libérer pour kiffer, juste kiffer, j'ai discuté avec Noémie Gmür, sexologue et thérapeute de couple.

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Une position qui mène une vie de chien : Le terme en lui-même dit énormément des représentations autour de cette position. Il y a d'abord, bien sûr, la référence à l'animal non humain, ce qui suppose une conception «bestiale» de la sexualité. C'est quelque chose que l'on retrouve à peu près à toutes les époques: on en identifie des représentations dès la préhistoire et dans toutes les langues. Le nom latin de cette «levrette» était coitus more ferarum (traduire par: «comme les animaux le font»). Dans le Kamasutra, son auteur supposé Vâtsyâyana invite d'ailleurs son lectorat à regarder comment font les animaux. Il utilise un terme qui se traduit par «congrès de la vache» ou «union de la vache» et qu'il décrit de manière graphique: «Lorsqu'une femme se tient sur ses mains et ses pieds comme un quadrupède, et que son amant monte sur elle comme un taureau, cela s'appelle le “congrès de la vache”. À cette occasion, il y a lieu de faire sur le dos tout ce qui se fait ordinairement sur la poitrine.» Pour compléter le bestiaire, notons qu'en italien, on dit «pecorina», «comme les brebis».

Cette vision de la levrette comme pratique sexuelle «bestiale» est pour beaucoup dans sa réprobation par le monde médiéval chrétien qui la considérait comme «contre-nature». «On croyait que les enfants conçus en levrette auraient des problèmes dans leur vie, commente Noémie Gmür. Et les personnes qui avaient eu des relations sexuelles dans cette position devaient se confesser et expier.» Auteur du livre La Fabuleuse Histoire de la levrette (2022), le journaliste et chroniqueur belge Didier Dillen rapporte même: «Comme pour la pénétration anale, on pouvait être condamné et même brûlé.»

Les choses se sont un peu détendues par la suite, d'autant plus que des médecins de la Renaissance ont réhabilité la levrette en suggérant que cette position, qui permet une pénétration plus profonde, est plus propice à la procréation. Mais aujourd'hui encore, la levrette est aussi associée à la sexualité anale avec ce qu'elle a de tabou –un tabou nourri d'homophobie, qui s'ajoute à la somme des représentations négatives. Une vision que l'on retrouve dans le porno mainstream. «La levrette est marquée par l'imaginaire autour du porno patriarcal fait par et pour les hommes cis hétéros blancs: le visage de la femme n'est généralement pas montré, elle est humiliée, prise par surprise, pour ne pas dire violée», estime la sexothérapeute. Elle remarque que, dans le même temps, «les films grand public ont construit un idéal de rapport sexuel romantique, dans lequel les partenaires sont proches et se regardent les yeux dans les yeux».

Et le plaisir dans tout ça? Alors, maintenant, que faire de cette somme de préjugés qui font que le sexe en levrette serait forcément bestial en ce que le terme aurait de négatif et que la personne à genoux serait forcément soumise, dominée? Et ce, dans une relation sexuelle et intime qui mimerait nécessairement les rapports de domination de genre. Il faut d'abord évidemment rappeler l'importance du consentement à chaque instant de la relation. «Ce qui importe, ce n'est pas tant la pratique ou le kink, que la manière de pratiquer, l'intention et la communication entre les personnes concernées. Le consentement doit être discuté avant, pendant, après. On peut établir des safe words, des safe gestures», insiste Noémie Gmür, tout en spécifiant que «la levrette peut aussi être douce, tendre», si tant est qu'elle est désirée. Et, si un rapport de force et de domination est souhaité et consenti, «il est plus intéressant de se demander pourquoi on aime ça, avec qui, etc.», plutôt que de mettre la pratique au placard des fantasmes inassouvis ou de culpabiliser.

En outre, la levrette en elle-même offre une aisance physique non négligeable. «La levrette permet une certaine liberté: on peut se toucher, bouger, gérer le rythme, etc.», signale Noémie Gmür. La sexologue ajoute: «Le fait de ne pas voir son ou sa partenaire peut être moins intimidant et offre la possibilité de se connecter à soi, à ses sensations, à son corps.» Elle souligne également: «Il y a quelque chose d'“empouvoirant” à être dans une position qui suscite le désir.» Difficile avec tout ça de mettre de côté la levrette uniquement pour des raisons idéologiques si on y prend (mutuellement et consensuellement) du plaisir. «J'ai du mal à concevoir un féminisme qui contraint à ne pas faire des choses qui apportent du plaisir. Le plaisir est en soi un acte militant», conclut Noémie Gmür.

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